

Affaire Legrand-Cohen: conflit bloc contre bloc entre l'audiovisuel public et les médias Bolloré
L'audiovisuel public fait bloc dans son conflit contre les médias de la galaxie Bolloré, qui est monté d'un cran mercredi: France Télévisions et Radio France ont conjointement dénoncé auprès de l'Arcom une "campagne de dénigrement" de la part de CNews et Europe 1 au sujet de l'affaire Legrand-Cohen.
A un an et demi de la présidentielle de 2027, une telle opposition est inédite dans l'histoire médiatique française.
D'un côté, les médias privés dans le giron du milliardaire conservateur Vincent Bolloré accusent l'audiovisuel public de parti pris pour la gauche. De l'autre, les deux groupes publics contre-attaquent et en appellent au régulateur de l'audiovisuel.
"France Télévisions et Radio France font actuellement l'objet d'une campagne de dénigrement systématique et quotidienne par un autre groupe de médias, en particulier sur les antennes de la chaîne de télévision CNews et de la station de radio Europe 1", écrivent les présidentes des deux entreprises publiques, Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil, dans un courrier à l'Arcom consulté par l'AFP.
Toutes deux doivent être entendues par le régulateur mercredi après-midi au sujet de l'affaire Legrand-Cohen.
Sollicitées par l'AFP pour réagir à ces accusations, CNews et Europe n'ont pas répondu dans l'immédiat.
Le déclencheur des hostilités a été une vidéo diffusée début septembre par le média conservateur L'Incorrect, source d'une vive polémique politico-médiatique.
- "Miner la confiance" -
Filmée en juillet dans un restaurant parisien, la vidéo montre Thomas Legrand, chroniqueur à Libération et France Inter, et Patrick Cohen, qui intervient sur France Inter et sur France 5 (France Télévisions), échanger avec deux responsables du Parti socialiste. Au cours de cette discussion, M. Legrand déclare: "Nous, on fait ce qu'il faut pour (Rachida) Dati, Patrick (Cohen) et moi".
La séquence a valu aux deux journalistes des accusations de connivence avec le PS et de parti pris à l'encontre de la ministre de la Culture sortante. Les deux hommes ont demandé par huissier à L'Incorrect l'intégralité des images vidéo, sans montage.
Thomas Legrand a renoncé à son émission dominicale sur France Inter, mais continuera d'intervenir à l'antenne.
Cette affaire a été amplement commentée sur CNews, Europe 1 et le Journal du dimanche (JDD) - tous dans le giron de M. Bolloré -, qui y ont vu un signe de parti pris politique du service public.
Mais pour mesdames Ernotte Cunci et Veil, "le caractère outrancier et déséquilibré de cette campagne dépasse désormais le simple débat d'opinions".
Selon elles, cela "contribue à miner la confiance dans l'information de service public, à relativiser la responsabilité de l'acte d'informer - qui suppose honnêteté et rigueur - et (...) à fragiliser la qualité du débat démocratique".
"La liberté d'expression ne saurait être instrumentalisée dans l'objectif d'affaiblir le service public audiovisuel", insistent-elles.
Elles pointent le "temps d'antenne très significatif" consacré par CNews et Europe 1 à des "propos dénigrants". "Nous aimerions connaître votre position sur le sujet", concluent les dirigeantes, en interpellant le président de l'Arcom, Martin Ajdari.
- "Bien-pensants" -
Bien avant cette affaire, les médias dans le giron de M. Bolloré ont fréquemment reproché à l'audiovisuel public de pencher à gauche, notamment dans son traitement des questions d'immigration et d'insécurité.
Eux-mêmes sont accusés par des responsables politiques de gauche de promouvoir des idées d'extrême droite, ce qu'ils contestent.
Jusqu'à ces derniers jours, les groupes publics n'avaient jamais directement répondu.
Radio France a été le premier à changer de braquet. Samedi, deux hauts responsables sont publiquement montés au créneau pour réfuter les accusations. Lundi, dans un message interne consulté par l'AFP, Sibyle Veil a dénoncé "une campagne de déstabilisation".
"Ces gens deviennent fous", a rétorqué lundi la vedette de CNews, Pascal Praud, en ouvrant son émission "L'heure des pros". Il a dénoncé une "offensive tous azimuts contre ce que les bien-pensants nomment la presse Bolloré, mais qui est tout simplement une presse libre et indépendante".
Mercredi, le JDNews, le magazine du JDD, a consacrée sa Une à l'affaire Legrand-Cohen. Elle est titrée "Radio France, France Télévisions... Le scandale des intouchables" et sous-titrée "Ils donnent des leçons et complotent avec la gauche... avec vos impôts".
(R.Mohlala--TPT)